16 . La tirade du vélo

Je pédalais sur le front de mer, le nez au vent, 
Lorsque j’entendis derrière moi, les mots suivants: 
-Vous allez à droite? Ou à gauche? On ne sait pas. 
Mon sang ne fit qu’un tour, ma gorge se serra, 
De son vélo électrique, elle me toisa,
Son ton m’avait blessée. Puis, elle me dépassa.
Me vint sans y penser cette phrase sans âme, 
Que dire d’autre qu’un Agressif: «Pardon Mâdâme» ?

Me revint en mémoire la tirade du nez, 
Et tous les adjectifs que j’eux pu déployer, 
Toutes ses intentions, toujours à notre portée, 
Que nous n’avons jamais l’idée d’utiliser. 
Je rentrai donc chez moi avec l’intuition, 
Qu’Edmond Rostand pourrait m’offrir d’autres options, 
Avec cette tirade de coach avant son heure. 
Agressif me semblait la seule réaction. 
Mais grâce à lui, je sais que ce n’était qu’un leurre, 
Que j’ai à chaque instant, bien plus d’intentions, 
Accompagnées chacune de leur lot d’émotions. 
Au lieu de réagir, d’être rouge comme une pomme, 
Je pouvais dire.. Oh Dieu… bien des choses en somme; 
En variant le ton, par exemple tenez: 

Descriptif : je roulais effectivement au milieu, 
Fascinée que j’étais par la beauté du lieu, 
Il faut dire que c’est une belle journée ! 

Curieux : mais quel tourment peut donc vous inspirer 
Un ton aussi méchant pour un fait si léger ? 

Gracieux : je me décale de ce pas vers la droite, 
Que vous me doubliez du côté adéquate. 

Truculent : Attention, attention, le voilà, 
Le bolide de la mère Michu, bougez d’là ! 

Prévenant: mais nous avons frôlé l’accident,  
Vous n’avez rien madame, toujours toutes vos dents ? 

Tendre : Oh merci Madame, de ces seuls mots de vous, 
Je replonge en enfance, sur les bancs de l’école, 
Où seul un professeur prenait ce ton si doux 
Afin que nous cessions et qu’aucune mouche ne vole. 

Pédant : le baron Karl von Drais et Pierre Michaux 
En assemblant ainsi pédales et manivelles, 
N’auraient pu se douter deux siècles plus tôt, 
Que la révolution des roues jusqu’à celle, 
Plus récente des femmes sur une selle, 
Conduirait leur invention au trot, au galop, 
Jusqu’à notre banale querelle à vélo ? 

Cavalier : Hé parle-moi meilleur ! Et ta mère ! 

Empathique : comme je comprends votre colère  
Quand quelqu’un d’indécis vous bloque le passage. 

Dramatique : Pardon ! comment puis-je à mon âge, 
Rêver ainsi. Mon inconséquence, mon Dieu, 
Eut pu nous faire perdre la vie à toutes deux. 

Admiratif : j’aimerais avoir ce caractère  
Et m’adresser aux gens de cette manière. 
Cette peur de leurs regards que j’aurais dépassée 
Sans m’inquiéter nullement de ce qu’ils pussent penser. 

Lyrique : A gauche, à droite, pourquoi devoir choisir ? 
Qu’importe la destination sans le plaisir. 

Naïf : pourriez-vous m’indiquer l’emplacement, 
J’ai beau chercher je ne trouve pas mes clignotants ? 

Respectueux : mais après vous, très chère Madame. 

Campagnard : c’est qu’elle est ti pressée la ptite dame ! 
Fi d’ garce, eul bigadin qu’elle a, tout électrique ! 

Militaire : rangez-vous ! Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite ! 

Pratique : installez un klaxon et en un clic, 
Vous réveillerez ainsi toutes les maladroites, 
Qui oseraient comme moi se mettre sur votre route, 
Elles se décaleront, n’ayez l’ombre d’un doute ! 

 Voilà ce qu’à peu près, j’aurais pu lui répondre, 
Si j’avais eu le temps et l’énergie de pondre 
Cette tirade en live à ma cycliste pressée. 
Mais de temps je n’en eu point, au moment des faits,  
Alors, j’ai choisi l’énergie d’être agacée, 
Car oui, c’est bien un choix, maintenant je le sais.