L'envie et la morale
Quand je parle de mon projet de créer des outils de coaching uniquement basés sur la notion d’envie et que j’ajoute que dans la vie, on peut toujours faire ce dont on a envie, je reçois beaucoup d’objections. Et notamment, si on pouvait faire tout ce dont on a envie, alors, on pourrait tuer son voisin, alors, on n’aurait pas besoin d’aller bosser, alors, on n’aurait plus besoin de faire à bouffer pour ses enfants, bref, alors, il n’y aurait aucune conséquence à nos actes, ce serait l’anarchie. Et on en déduit donc que ce n’est pas possible. Creusons un peu cette question.
Nous avons vu dans l’article précédant qu’il y a déjà un cadre dans lequel exercer mes envies. C’est le cadre de ma réalité sur lequel j’ai une possibilité d’intervention limitée.
On peut penser ensuite au cadre donné par la société, par les lois. On peut dire que s’il y a des lois qui m’interdisent certains actes, alors ma liberté est contrainte. Certes la loi propose un cadre qui va encore délimiter mon champ de liberté mais ce cadre, c’est moi qui choisis de le respecter. Si on reprend l’exemple de la voiture de mon voisin. Une loi interdit le vol. Mais ça ne m’empêche pas de la voler ! La loi ne me menotte pas au moment où je passe à l’action. Si les lois empêchaient les vols ou les actes qu’elle punit en général, les prisons seraient vides. Les lois freinent sans aucun doute certains passages à l’acte mais ne contraignent pas ma liberté. Ce sont les conséquences de mon acte imposées par la loi qui iront contraindre ma liberté. Les lois ne m’empêchent pas de faire ce dont j’ai envie, elles m’empêchent de le faire impunément.
Mais est-ce uniquement la crainte des conséquences qui m’empêche de passer à l’acte ? Est-ce que si le vol était impuni, je me l’autoriserai ? On arrive alors à la notion de morale. Et j’ai aimé découvrir l’expérience de l’anneau de Gygès, allégorie au début du deuxième livre de la République de Platon. (Je précise, je ne l’ai pas lu en entier mais je vais l’ajouter à ma liste de lecture* ! ) Un berger, du nom de Gygès trouve un anneau lui permettant de devenir invisible. Il avait une réputation d’honnête homme mais il ne sut résister aux tentations de l’impunité à laquelle l’anneau lui donnait accès. Il profita de cet anneau pour séduire la reine, assassiner le roi, prendre le pouvoir… Cet anneau a mis en lumière ce qu’il ne s’autorisait pas non par morale pure mais par peur des conséquences. Cet homme passait pour quelqu’un d’honnête mais la possession de l’anneau mit en évidence que son honnêteté n’était que prudence et hypocrisie. Cette histoire m’a d’ailleurs permis d’enfin comprendre pourquoi les personnages du Seigneur des anneaux faisaient tout un foin autour de ce fameux anneau ! Je pensais que c’était juste parce que « ce précieux » avait des pouvoirs maléfiques mais en fait, il porte en lui la tentation de l’invisibilité donc de l’impunité de nos actes.
Si j’avais un anneau me permettant de me rendre invisible et donc me permettant de commettre toute sorte de choses interdites par la loi en toute impunité, me l’autoriserais-je? Par cette expérience de l’anneau, Platon pose la question de la morale intrinsèque de l’être humain. Tout ce que nous ne faisons pas mais que nous nous autoriserions à faire si nous étions invisibles, relève finalement de la prudence et de l’hypocrisie. Et c’est seulement tout ce que nous ne nous autoriserions pas qui relève de la morale, notre morale propre. Et visiblement, seul un hobbit a une morale assez solide pour transporter un tel anneau !
Et notre morale, c’est finalement nous qui la choisissons. Ma morale va venir délimiter encore un peu plus les contours de mon champ de liberté mais contrairement au cadre de ma réalité, ces contours-là, c’est moi qui les choisis. Et en restreignant moi-même mon propre champ de liberté, j’exerce ma liberté.
Rousseau a dit “l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est la liberté.” C’est ce qui se rapproche de mon concept des envies d’être. Quand j’ai bien conscience de la personne que j’ai envie d’être, je vais agir en fonction. Mes envies d’être vont venir délimiter le cadre à l’intérieur duquel je m’autorise à exercer ma liberté. Les lois peuvent me donner des pistes intéressantes de choses à m’interdire mais je reste la dernière personne à décider de celles que je veux respecter.
C’est d’ailleurs un choix prudent que de ne pas uniquement se reposer sur le cadre des lois sans les questionner. En effet, nul besoin de chercher bien loin dans notre Histoire pour trouver des lois auxquelles aujourd’hui nous n’oserions obéir. A propos, saviez-vous que jusqu’un 2013, une loi interdisant aux femmes de porter des pantalons n’avait pas été abrogée. Nous étions alors quelques femmes à exercer une liberté non autorisée par le cadre de la loi !
Alors apprenons à exercer notre liberté dans le cadre de notre réalité et dans un cadre aussi moral que celui d’un hobbit !