6 . L’origine de l’envie – partie 1

Le désir ou le cercle vicieux entretenu par le manque

En philosophie, le désir est une tension née d’un manque qui vise un objet ou un sujet et dont la possession est susceptible de procurer de la satisfaction donc du plaisir.  (Attention de bien le dissocier du besoin qui pourrait faire l’objet d’un autre article. Quand je parle du manque ici, je ne parle pas d’un manque physiologique ou vital.)

Le fonctionnement du désir né du manque:

  1.  Il me manque quelque chose.
  2. Je le désire.
  3. J’imagine la réalisation de mon désir.
  4. Je ne l’obtiens pas, je souffre.
  5. Je l’obtiens. J’éprouve du plaisir.
  6. Puis je souffre encore. D’abord de désillusion parce que ce n’est pas aussi bien que ce que j’avais imaginé.
  7. Puis d’ennui parce que ça y est, j’ai obtenu ce que je désirais.
  8. Alors, j’ai un autre manque. Puis un autre désir… 

C’est le cercle vicieux du désir entretenu par le manque. 

Petite citation pour illustrer : « Nous ressentons le désir, comme nous ressentons la faim et la soif, décrit Schopenhauer ; mais le désir est-il rempli, aussitôt il en advient de lui comme de ces morceaux goûtés par nous et qui cessent d’exister pour notre sensibilité, dès le moment où nous les avalons » (Le monde comme volonté et comme représentation)

On pourrait accepter que cela se passe ainsi et rester dans ce cercle vicieux entretenu par le manque.  On reste alors dans l’illusion que la réalisation d’un de nos désirs pourra un jour combler définitivement notre manque. Par exemple, je serai enfin heureux quand j’aurai la voiture de mon voisin. J’ai la voiture de mon voisin, je ne suis toujours pas heureux. Mais c’est parce que je serai comblée quand j’aurai rencontré la femme de ma vie…Donc on peut accepter l’illusion mais on garde du coup la souffrance et on peut tomber dans l’excès, la recherche effrénée de désirs dans un but illusoire et devenir esclave de ses désirs.

Pour supprimer la souffrance, on pourrait sinon, supprimer le désir. C’est ce qu’on appelle l’ascèse. J’ai un désir, je l’ignore. Point. C’est une possibilité. On comprend que le désir ne nous apportera qu’un plaisir éphémère alors autant ne pas le vivre. Mais moi personnellement, ça ne me fait pas envie. Ca ressemble à quoi la vie quand on n’écoute aucun de ses désirs ?

Pourquoi ne pas s’attaquer uniquement au but illusoire du désir ? Puisqu’on a conscience qu’aucun désir ne nous comblera jamais, arrêtons de demander au désir de nous combler. Pourquoi demandons-nous au désir de nous combler ? Parce que nous pensons que notre valeur dépend de la réalisation de notre désir. Mais à partir de quel désir réalisé, je pourrais décider que ça y est, je suis comblé, je suis complet ? Spoiler alert: aucun. La réalisation de mon désir ne m’augmentera pas, ne me donnera pas ma valeur. L’expérience de la réalisation de mon désir peut augmenter ma sensation de plaisir, mon niveau de bonheur pendant un temps mais aucun désir ne pourra maintenir cette augmentation sur la durée. La seule chose qui augmente de façon durable c’est mon nombre d’expériences. La réalisation de mon désir augmente uniquement mon compteur d’expériences.

 Si je ne désirais plus quelque chose parce que ça me manque mais juste parce que j’en ai envie. Je n’ai pas besoin que mon désir se réalise. J’en ai juste envie. J’en ai besoin quand je pense qu’il me manque quelque chose pour être. Mais s’il ne me manque rien, le désir devient alors juste une expérience que j’ai envie de réaliser. S’il ne se réalise pas, je ne suis pas diminué, s’il se réalise, je ne suis pas augmenté. Seul le nombre de mes expériences est augmenté. Moi je reste qui je suis. 

Transformons le cercle vicieux en cercle vertueux:

  1. Il me manque quelque chose.
  2. Je le désire.
  3. J’imagine la réalisation de ce désir. Je l’imagine jusqu’au bout. Jusqu’au moment où ça ne m’intéresse plus. 
  4. En parallèle, j’imagine si mon désir ne se réalise pas. Je visualise que je reste la même personne, pleine et entière.
  5. Je comprends qu’il ne me manque pas vraiment quelque chose. Je comprends que la réalisation de mon désir ne me comblera pas complètement, ne me définira pas, ne me dira pas ma valeur.
  6. J’en ai juste envie.
  7. Je réalise mon envie, je reste la même personne avec une expérience en plus à mon compteur.
  8. Je ne réalise pas mon envie. Je reste la même personne.

Je ne suis pas quelqu’un de mieux ou quelqu’un de moins bien, je ne suis ni augmenté, ni diminué par la réalisation de mon désir. J’ai juste une expérience de plus à mon compteur ! Je n’ai besoin de réaliser aucun désir particulier. Je peux agir en direction de la réalisation d’un désir mais je ne lui demande plus de me combler.

La suppression du manque dans la définition du désir nous conduit à ma définition de l’envie. L’envie est un désir dont je supprime la tension en m’affranchissant du manque.

Un philosophe a attiré mon attention quant à sa vision du désir. Il le décrit comme étant synonyme de vie. Une autre façon de regarder le désir non comme une illusion conduisant à la souffrance mais comme ce qui nous met en mouvement.